Les variations du niveau des mers à l'échelle des temps géologiques de quelques milliers d'années sont intimement liées aux changements climatiques. Les phénomènes physiques à l'origine sont les variations de densité de l'eau et la fonte ou la formation de glace sur les terres émergées. Il existe toutefois d'autres causes possibles de variation du niveau des mers aux échelles de temps considérées. Aussi, j'ai choisi de les présenter suivant une classification simple, inspirée de Pirazzoli [1976], qui a le mérite de donner une bonne vue d'ensemble.
Les sources de variation à long terme du niveau des mers peuvent être distinguées selon qu'elles affectent:
Le niveau d'eau dépend en effet de la forme du contenant. Ce constat, trivial lorsqu'on transvase l'eau d'un type de verre conique à un autre à fond plat, s'applique également aux bassins océaniques. Les processus géodynamiques modifient en permanence le relief de l'écorce terrestre et, par conséquent, la forme des bassins océaniques. A cet égard, les mouvements tectoniques sont probablement la principale source de renouvellement et de changement du relief. Les zones de formation et de destruction des plaques sont en particulier génératrices de plancher océanique, de volcanisme et de massifs montagneux. Les phénomènes de déplacement de charge altèrent aussi la topographie marine et terrestre. Un nouvel équilibre des compartiments de l'écorce terrestre est entraîné par la surcharge ou la décharge de poids. On parle de glacio-isostasie dans le cas où l'élément responsable est la glace, et d'hydro-isostasie dans le cas de l'eau liquide. Un type particulier d'isostasie est par ailleurs causé par l'érosion hydrologique et l'accumulation de sédiments dans l'embouchure des cours d'eau, voire le plateau continental. Plus largement, l'érosion transforme sans cesse le relief, et transporte des quantités importantes de matériaux toujours dans le même sens, dicté par la pesanteur, des terres continentales vers le fond des mers.
Plusieurs causes influent sur la quantité d'eau présente dans les océans. Tout d'abord, les cycles de glaciation et de déglaciation se manifestent par les déplacements d'énormes quantités d'eau entre les océans et les terres émergées. Ils sont dus à la formation et à la fonte des glaces continentales. Notons entre parenthèses que le volume occupé par les glaces flottantes correspond, par équilibre hydrostatique, au volume d'eau liquide que représente cette glace. Les icebergs et les banquises n'influent donc pas davantage sur le niveau des mers que leur eau soit sous forme de glace ou sous forme liquide. Dans les glaces continentales, on distingue en général les glaciers alpins et les petites calottes de glace, des grandes étendues polaires formées par le Groenland et l'Antarctique. La distinction ne relève pas tant de leur dimension ou de leur dynamique propre que des incertitudes qui sont associées à ces vastes étendues de glace. La plus grande île de notre planète et le continent antarctique souffrent en effet d'un manque cruel de données et d'observations.
D'autres sources peuvent aussi affecter le niveau des mers à travers les échanges d'eau entre terres émergées et mers. C'est le cas notamment des réservoirs d'eau souterrains. Alors qu'un certain état d'équilibre naturel était défini dans le passé via le cycle hydrologique, aujourd'hui, l'Homme perturbe cet équilibre par le pompage d'eau des nappes phréatiques, l'irrigation, la déforestation, la construction de barrages, etc. Enfin, en ce qui concerne les changements de la quantité d'eau océanique, une question intéressante est encore l'origine de l'eau sur Terre, et par voie de conséquence, la détermination des sources d'eau " juvénile ". L'hypothèse d'une source interne semble aujourd'hui assez controversée, car l'eau observée dans certains types de magmas pourrait très bien être d'origine superficielle. De fait, ces magmas ne sont pas constitués uniquement de matières profondes [Pirazzoli, 1976]. Dans l'hypothèse d'une origine météorique, les apports seraient aujourd'hui négligeables et compenseraient les pertes vers l'espace extérieur. Le bombardement météorique fut en effet très intense durant les premières centaines de millions d'années qui suivirent la formation de la Terre. Mais depuis il se serait fortement réduit.
La chimie de base nous enseigne que le volume d'un corps change sous l'influence de la température sans pour autant qu'il n'y ait d'apport de masse. C'est ainsi, par exemple, que la loi de Charles énonce que le volume d'un gaz dont on maintient la masse et la pression constantes varie directement avec la température. Ce phénomène de contraction ou de dilatation thermique se produit quelque soit l'état physique du corps, dans une moindre mesure toutefois pour un liquide que pour un gaz. Le changement de configuration géométrique de l'élément chimique dans les trois dimensions de l'espace est connu sous le nom d'effet stérique. Il correspond en outre à un changement de la densité de l'élément en question, dans notre cas l'eau marine. En l'occurrence, lorsque la température augmente , la densité diminue, et le niveau de la mer s'élève. L'autre facteur qui influe sur la densité de l'eau, et donc sur son volume et son niveau, est la salinité. L'effet stérique dû à la salinité est appréciable au niveau local et régional, aux échelles de temps courtes, largement inférieures au siècle, dû principalement à l'apport d'eau douce par les cours d'eau, à la formation de glace de mer, à l'évaporation, et aux précipitations. A plus long terme et à un niveau global, la salinité de l'eau de mer est directement liée aux glaciations. Par ailleurs, les variations de densité dans l'océan Atlantique Nord semblent gouverner la formation des eaux profondes et la circulation générale thermohaline, donc la redistribution de masse et de chaleur à l'échelle mondiale et, par conséquent, l'ampleur de l'effet stérique. Les processus physiques d'ajustement sont toutefois longs, de l'ordre de plusieurs centaines d'années, voire plus. Enfin, l'effet stérique dû à l'apport continu de sels dans les océans n'est vraisemblablement sensible qu'à des échelles de temps très longues, nettement supérieures au million d'années. Panzarini [1963] évalue l'accroissement annuel de sels par les fleuves à environ 210-9[[perthousand]], soit 0.002[[perthousand]] tous les millions d'années, valeur très inférieure à la différence de salinité moyenne des océans estimée entre le dernier maximum glaciaire et aujourd'hui, soit une variation de l'ordre de 3.5[[perthousand]] sur 20 000 ans [Pirazzoli, 1976]. La salinité actuelle des océans ne peut donc raisonnablement s'expliquer par la seule contribution fluviale. Elle serait en fait due pour une grande part au volcanisme intense passé.
La contribution de chaque facteur n'est pas aisée à évaluer. Les estimations sont difficiles à cause du manque important d'observations. Les évaluations sont de ce fait essentiellement obtenues à partir de modèles relativement complexes, validés et ajustés par les données observées. Aussi, un certain nombre d'hypothèses tacites sous-tendent ces études quantitatives. Par exemple, la quantité d'eau sur Terre est implicitement supposée stable au cours des temps géologiques. De même, la forme du contenant océanique n'aurait pas fondamentalement changée, hormis les déformations isostatiques, sur une échelle de temps de quelques millions d'années. Ces hypothèses dépendent bien entendu de l'échelle temporelle considérée.
L'effet stérique dû à la variation de température n'est pas négligeable sur le niveau des mers, puisqu'il représenterait pas moins de la moitié de l'élévation séculaire observée depuis la fin du XIXe siècle [Gornitz et al, 1982]. Les mesures étant rares et locales, les calculs de dilatation thermique des eaux océaniques s'appuient sur des profils de température obtenus à partir de modèles plus ou moins sophistiqués de diffusion de la chaleur. Quelques difficultés se posent à cet égard à l'heure actuelle. Les modèles simples à une dimension sont incapables de reproduire de manière réaliste certains processus importants de pénétration et de mélange des eaux qui s'effectuent depuis la surface des océans vers les couches inférieures. Pour mieux faire, il est en particulier important d'inclure la circulation générale thermohaline, donc de prendre en compte l'espace sur ses trois dimensions. Notons que les modèles océaniques utilisent en entrée une répartition de la température en surface et son évolution dans le temps. En général, ces informations sont fournies par un modèle climatique indépendant, à moins de disposer au départ d'un modèle de circulation générale couplé atmosphère-océan. Les différences entre les résultats ne sont toutefois pas encore significatives, car les incertitudes demeurent trop importantes. D'une part, les observations qui servent à ajuster les paramètres des modèles sont rares, limitées dans le temps et dans l'espace à quelques régions. Des hypothèses à vérifier par ailleurs sont alors nécessaires pour pallier à cet inconvénient. D'autre part, des problèmes non résolus subsistent, notamment en relation avec la méconnaissance des conditions initiales. Les événements climatiques passés déterminent en effet l'état de l'océan observé aujourd'hui. Mais les conditions passées sont mal connues, de même que les mécanismes responsables des retards dans les réponses. La dilatation thermique concerne toute la colonne d'eau océanique, elle dépend donc des phénomènes qui se déroulent dans l'océan profond, à l'échelle de temps caractéristique du millier d'années [Wigley, 1995]. C'est ainsi qu'en utilisant les mêmes conditions de forçage en surface pour différents modèles, nous obtenons des résultats différents au bout de quelques dizaines d'années. Un certain niveau de cohérence permet cependant d'estimer la contribution de l'effet stérique à une élévation du niveau des mers de deux à sept centimètres au cours des cent dernières années [IPCC, 1995].
La contribution de la fonte des glaciers et des calottes de glace de taille moyenne est évaluée dans le rapport de l'IPCC [1995] entre deux et cinq centimètres sur le dernier siècle. Les estimations sont obtenues à partir d'un bilan des masses de glace qui résulte d'abord de la différence entre les accumulations et les pertes. Deux facteurs viennent compléter ce bilan: l'accumulation interne due au regel d'une partie des glaces fondues, et l'ablation des calottes en icebergs. Le premier est un effet positif alors que le deuxième est négatif. Un bilan des masses positif correspond en outre à une baisse du niveau des mers. L'ablation sous forme de icebergs se limite à quelques régions, notamment polaires, et concerne donc relativement peu de glaciers. Elle est mal modélisée, mais elle peut être mesurée avec des résultats plus fiables. L'accumulation interne est par contre difficile à modéliser et à mesurer. Elle est de ce fait souvent ignorée, ce qui conduit à une surestimation des pertes dans le bilan des masses. Les gains et les pertes sont par ailleurs déterminés à partir de modèles hydro-météorologiques ou climatiques, qui fournissent une distribution des précipitations et des températures à la surface des terres. Ces données sont alors utilisées en entrée des modèles de formation et de fonte de glace. Un problème de modélisation important survient toutefois à cause de la grande variabilité spatiale et temporelle de la réponse des glaciers. Les taux de fonte et de formation dépendent en particulier de leur forme et de leurs dimensions. Or, moins d'une cinquantaine de glaciers seraient effectivement surveillés et classés de manière sérieuse. Ils sont localisés principalement dans les Alpes et en Scandinavie, ils ne représentent qu'une petite fraction des plusieurs centaines de glaciers inventoriés, et de surcroît ils sont surtout de dimension modeste. Il est par conséquent délicat d'étendre les contraintes apportées par ces observations pour l'établissement d'une estimation globale de l'effet des glaciers sur le niveau des mers, voire pour l'évaluation correcte des incertitudes. Entre 1993 et 1995, Harrison et al [1995] ont déterminé les profils de quelques trente glaciers en Alaska et au Canada par altimétrie laser embarquée sur avion. La comparaison avec les informations des cartes établies en 1950 montre que la plupart des glaciers de l'Alaska se sont amincis. Les auteurs insistent tout particulièrement sur la complexité de la relation entre changement de volume régional et climat. Ils remarquent en outre que parfois les glaciers se sont épaissis, tout en reculant.
Les observations des glaciers alpins au cours de ce siècle permettent d'établir un bilan des masses contraint, et par suite une estimation a priori plus réaliste de leur contribution à l'élévation séculaire du niveau des mers. Malheureusement, ceci est moins évident pour les vastes étendues de glace de l'Antarctique et du Groenland par le manque accru de données. De plus, dans les régions polaires tous les termes du bilan des masses que nous avons évoqués dans le cas des glaciers doivent être pris en compte. Il est donc indispensable que les modèles utilisés intègrent la dynamique des processus d'accumulation interne de glace et les flux d'ablation des calottes en icebergs. Par ailleurs, la plupart des modèles de fonte et de formation de glaces évaluent le bilan des masses à partir des changements de température dans l'atmosphère issus de modèles hydrométéorologiques ou climatiques. La relation entre température et précipitations permet certes d'estimer l'accumulation de glace dans les régions polaires, mais en supposant toutefois que la circulation atmosphérique générale ne change pas. Cette hypothèse est loin d'être vérifiée. Les diverses estimations de la contribution de l'Antarctique et du Groenland affichent une fourchette de valeurs assez large à cause de l'effet d'incertitudes sur des très grandes extensions de glace, qui représentent respectivement 85% et 12% des glaces continentales. Aussi, on comprend que l'estimation moyenne de l'IPCC [1995] soit large et reste neutre pour les composantes Antarctique et Groenland.
Enfin, la contribution des réservoirs d'eau terrestres, souterrains ou en surface, n'est pas claire. Les principaux échanges d'eau entre ces derniers et la mer sont probablement d'origine anthropique aujourd'hui, dus en particulier à la construction de barrages, à la constitution de réserves d'eau, au pompage des nappes phréatiques, à la déforestation, etc. L'effet net sur le niveau des mers est incertain et controversé. Aussi, l'estimation moyenne de l'IPCC [1995] reste assez neutre, avec une large marge d'incertitude, vraisemblablement motivée par le manque de données à ce sujet. Lors de l'Assemblée Générale de l'Union Géodésique et Géophysique Internationale (UGGI) en 1995, à Boulder, aux Etats-Unis, quelques chercheurs ont d'ailleurs manifesté que l'effet des réservoirs d'eau terrestre a considérablement été sous-estimé, et ne peut être considéré nul. Le bilan effectué par Chao [1995] évalue l'effet de quelques grands réservoirs artificiels à une baisse du niveau des mers de l'ordre de 0.7 mm/an sur les cinquante dernières années. L'étude porte sur quatre-vingt-huit réservoirs de plus de dix kilomètres cubes de capacité. Selon l'auteur, ils ne représenteraient pourtant que 40% de l'eau ainsi retenue par l'Homme, le reste figurant sous forme de plus petits réservoirs, mais très nombreux. Il conclut en rappelant que, par ailleurs, l'apport des réservoirs naturels invisibles est difficile à déterminer sans une analyse géologique et historique locale.
Le tableau de la figure 8 résume les différentes contributions à l'élévation du niveau des mers au cours du dernier siècle. Les valeurs proviennent du chapitre 7 du rapport de l'IPCC [1995]. MM. Warrick, Le Provost, Meier, Oerlemans et Woodworth présentent dans celui-ci une synthèse de l'état actuel des connaissances et des grandes incertitudes qui rendent difficile le calcul exact de la variation séculaire passée du niveau marin.
Contribution | Estimation basse | Estimation moyenne | Estimation haute |
---|---|---|---|
Dilatation thermique Glaciers Groenland Antarctique Réservoirs d'eau terrestres |
2 cm 2 cm -4 cm -14 cm -5 cm |
4 cm 3.5 cm 0 cm 0 cm 0.5 cm |
7 cm 5 cm 4 cm 14 cm 7 cm |
TOTAL | -19 cm |
8 cm |
37 cm |